La biologie délocalisée : une réponse à la désertification médicale
Coordination des soins au niveau territorial
L’assurance maladie étudie actuellement plusieurs projets dont celui de l’organisation des soins dans le parcours du patient. Ce projet d’organisation s’articule autour d’équipes de soins primaires et d’équipes de soins spécialisés dans une approche populationnelle et territoriale.
Que pensez-vous du projet de l’assurance maladie et comment voyez-vous le rôle des biologistes dans cette organisation ?
Personnellement, je ne suis pas à l’aise avec ce projet puisqu’il ne répond pas aux besoins propres de la biologie. La biologie intervient tant pour traiter l’urgence que dans les soins non-programmés afin d’éviter l’hospitalisation. Elle est utile à tous les stades de la maladie qu’ils soient aigus ou chroniques car elle permet de réaliser des diagnostics rapides comme des diagnostics sur le long terme, indispensables pour suivre la chronicité de la pathologie.
Nous proposons un modèle simple basé uniquement sur la coordination des soins
Une réflexion a été engagée entre syndicats libéraux, depuis trois ans, pour faire la promotion d’un modèle plus simple et plus souple, tenant compte notamment des remarques des associations de patients avec lesquelles nous avons travaillé. Ce modèle inclut le patient dans ce que l’on appelle l’ESCAP (équipe de soins coordonnées autour du patient) selon des critères de choix d’acceptation centrés autour du médecin. Si le patient n‘a pas de médecin, soit on cherche un médecin au sein de cette organisation des soins, soit on crée une coordination avec d’autres professionnels de santé. La simplicité de cette organisation réside dans le fait qu’elle ne se forme qu’au moment où vous en avez besoin et se dissout aussitôt que la situation ne la requiert pas. Elle a comme avantage d’inclure tous les professionnels de santé tels qu’un pédicure-podologue, un kinésithérapeute, un orthophoniste… et les acteurs du champ médico-social. Il ne s’agit pas d’un projet type maison ou centre de santé mis en place dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) car leurs missions sont organisées administrativement avec des cahiers des charges bien définis. Notre projet émane, lui, directement du terrain étant donné qu’il a été élaboré avec l’ensemble des syndicats et les professionnels libéraux. D‘autre part, c’est un modèle bien plus simple à mettre en œuvre car il ne s’agit que d’une coordination des soins où tous les membres de l’équipe de soins ont le même niveau d’information pour une prise en charge plus efficace du patient.
Il faut organiser la biologie à proximité des gens qui en ont besoin
Nous avons eu notre première réunion avec Thomas Fatôme (directeur général de la CNAM) le 23 mars dernier. Nous y avons exprimé notre souhait de créer un accord-cadre interprofessionnel réunissant l’ensemble des syndicats et décliné dans des conventions nationales mono-catégorielles. Nous pensons que les structures actuelles d’exercice coordonné ne sont pas adaptées aujourd’hui à l’organisation des soins sur le territoire. Il nous semble pertinent que chaque laboratoire puisse déterminer la permanence des soins qu’il peut assurer pour les médecins et les autres professionnels de santé, et sur quel territoire. Lorsqu’un laboratoire est fermé, on peut se poser la question de savoir où vont les examens, qui les fait et de quelle manière ils sont faits. Cet état des lieux de cette permanence des soins est indispensable pour apporter une réponse biologique à une demande médicale. Il faut en conséquence organiser cette biologie à proximité des gens qui en ont besoin aujourd‘hui, en créant des unités de soins pluriprofessionnelles capables de prendre en charge des patients dans des territoires déterminés, notamment en voie de désertification médicale que ce soit dans les grandes villes ou en zone rurale. « Comment apporter cette réponse sur les territoires de manière coordonnée ? » fait d’ailleurs partie de la réflexion du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM). Pour nous, il est impossible à ce jour d’imaginer notre exercice, en dehors de cette coordination avec l’ensemble des autres professionnels de santé et organisée autour du patient, ce d’autant que certaines professions peuvent désormais prescrire des examens biologiques : les IPA (infirmiers en pratique avancée) et les sages-femmes dont les prérogatives de prescription ont été récemment étendues (Décret n° 2022-325 du 5 mars 2022 – dépistage d’infections sexuellement transmissibles (IST)).
La coordination des soins permettra de maintenir le prix des actes aux niveaux actuels grâce à une prescription ciblée
Le prochain arrêté concernant notre profession a pour objectif de permettre aux centres de santé de faire de la biologie délocalisée avec des délégation de tâches aux médecins, de pouvoir faire des examens sous contrôle d’un biologiste à distance et de rendre les résultats suffisamment rapidement. Nous nous interrogeons parce que nous ne souhaitons pas qu’il y ait une explosion de ces systèmes. Sans déclaration auprès de l’ARS, il sera impossible de savoir qui fait quoi, à quel endroit et avec quel type de matériel. Ainsi que nous le rappelons toujours aux autres professionnels, nous sommes dans une enveloppe qui régule le prix en fonction des volumes prescrits or, comme les actes de biologie médicale délocalisés sont déjà des actes de nomenclature, ils sont pour l’instant automatiquement dans notre enveloppe. D’importantes discussions vont avoir lieu dans le cadre du nouvel accord L2325. En effet, si ces actes appartiennent à l’enveloppe traditionnelle, augmentant de fait le volume de prescription, leur prix va vertigineusement chuter. Dans notre nomenclature, sur mille actes, les vingt premiers font soixante pour cent du chiffre d’affaires. Si une nouvelle baisse des prix est opérée (pour la douzième fois), les actes les plus prescrits tels que l’ECBU ou la numération ne vaudront plus rien et notre situation deviendra insupportable. La coordination des soins permettrait de maintenir les prix des actes aux niveaux actuels grâce à une prescription ciblée.
Il nous paraît important que seuls soient prescrits les actes utiles au patient
Nous souhaitons que notre nomenclature évolue soit vers des actes ciblés dont les indications sont bien comprises, soit vers des actes conditionnels. C’est-à-dire que, lorsqu’un médecin prescrira par exemple une numération, le biologiste pourra, de son initiative, réaliser des examens complémentaires au regard des premiers résultats, voire, si cela est nécessaire, supprimer d’emblée ceux ne présentant pas d’intérêt pour le diagnostic. Toutefois, dans un domaine concurrentiel libéral, pourquoi un biologiste se tirerait-il une balle dans le pied en ne validant pas un acte pour lequel il est censé être payé ? Il faut par conséquent trouver un mécanisme qui lui permette d’être valorisé. Comment ? En étant rémunéré par exemple au tiers du prix de l’acte non réalisé car considéré inutile par le biologiste, et via un contrôle par l’Etat des prescriptions prises en charge par l’assurance maladie. Certains actes demandés notamment par les assurances, hors champ de la nomenclature dès lors non remboursables, restent souvent remboursés par l’assurance maladie. Il y a donc des choses à revoir…